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Les Semaines sociales des Am (groupe santé) et l 'Ehpad "Ma Maison" de Nice ont invité à une soirée de rencontre, de partage et de réflexion autour de la fin de vie. Des praticiens (médecins, infirmiers, religieuses etc.) y ont fait part de leurs pratiques et de leurs expériences. Des temps de réactions et de questionnements ont suivi ces témoignages.

 

Cette soirée se passait bien sûr dans le contexte actuel de réflexion sur l’évolution de la législation relative à la fin de vie, mais elle se voulait surtout un temps d’échange sur des expériences d’accompagnement de la part de soignants et de religieuses, petites sœurs des pauvres, pour qui ce type d’accompagnement est au centre de la vocation. Cette soirée se situait aussi dans la perspective d’un travail d’analyse, de recueil de témoignages et de rédaction de documents au sein du groupe santé des semaines sociales de France. La déclaration des Semaines sociales de France rédigée en mars 2023 à la suite de travaux de plusieurs est axée sur quelques points :

-        Il convient de garantir à tous l’accès aux soins palliatifs et de permettre d’évoluer vers une culture palliative avant d’envisager une évolution de la législation.

-        La voie d’une nouvelle législation n’est peut-être pas la façon la plus judicieuse de répondre aux difficultés actuelles, notamment compte tenu de la dégradation actuelle du système de santé.

-        Il est urgent de communiquer sur les lois existantes très mal connues et souvent mal appliquées, d’où certaines expériences dramatiques de « mal mourir ».

 

Les types d’accompagnements évoqués au cours de la soirée se situaient non pas au sein de services spécialisés, mais à domicile et en EHPAD : l’idée était d’évoquer des séquences de soins en fin de vie, dans la réalité de soignants aujourd’hui, de équipes, investis dans les lieux ordinaires de soins.

En introduction, le docteur Jean-Luc Philip a évoqué le travail de qualité qui se fait au sein de Ma maison, EHPAD des petites sœurs des pauvres, dans un quartier de Nice, en introduction aux riches témoignages apportés.

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Le temps des témoignages

Sœur Agnès :

J’ai la particularité d’être médecin de formation et d’avoir eu à vivre en famille à domicile le décès de mon frère, le décès de mon père, à la maison, en EHPAD, à l’hôpital. J’aimerais surtout rester dans le concret et parler de l’essentiel pour nous.

 Premièrement, je m’appelle petite sœur, et comme petite sœur, je ne suis pas celle qui sait. Je suis celle qui est au service et celle qui entend. Je voudrais parler de quelque chose qui fait peur et qu’on entend beaucoup actuellement.

La grande leçon des soins palliatifs, ce sont des médecins, des infirmières qui écoutent, qui entendent ce que le patient, le résident, les proches disent, et qui partent de là. Il me semble que la grande peur de la fin de vie de la part des patients, elle est là : ils disent « on ne m’entend pas, on ne m’écoute pas. On ne va pas prendre en compte ce que je dis ».

Là, je parle pour nous : si dès l’accueil du résident, on part du parti pris que ce qu’il dit est important, que c’est ce que je dois entendre, à partir de là, les choses s’engagent pour lui laisser cette liberté de parole et pour pouvoir poser les choses avec lui. La mort, notre mort, celle de chacun de nous, s’inscrit dans toutes les morts que chacun de nous porte avec lui avant : il est primordial que le résident puisse les déposer, les partager durant le séjour. Il faut essayer que ce séjour soit le plus agréable possible mais laisse place aussi à cet espace de parole, et surtout cet espace d’écoute où je vais entendre ce que la personne me dit. Tout va partir de là, que ce soit pour le médecin, encore plus la petite sœur, l’infirmière, celle qui va aider aux soins, celle qui va aider un résident à manger : que chacun parte de ce que dit la personne.

Deuxièmement, et cela vient à la suite, il est vrai que certaines vies sont insupportables. Je le souvenir d’une personne âgée de 90 ans ou plus : elle s’est cassé la jambe, est partie à l’hôpital où on lui a posé prothèse, elle est rentrée, puis elle s’est luxé la hanche, d’où un deuxième passage au bloc opératoire :  elle est ainsi passée au moins cinq fois au bloc. Elle n’en pouvait plus. Elle disait : « laissez-moi mourir faites-moi mourir. »

Il nous faut entendre ces cris. Pour cette dame, on a vraiment réfléchi à ce qu’il fallait faire. La hanche était tellement fragile, que c’était presque impossible d’envisager qu’elle rentre : lui faire un change au lit, c’était impossible tellement la hanche était fragile. Finalement, dès que ça s’est un peu consolidé, on a proposé de la faire rentrer à Ma Maison pour Noël, et ainsi de suite : entre décembre et janvier 2022, elle a fait des allers-retours entre l’hôpital et Ma Maison, et à ce jour elle est toujours vivante. C’est un exemple : une personne qui n’est pas bien, chez qui les douleurs sont insupportables peut exprimer un désir de mort. Puis ça va mieux, et la demande de mort est peut-être moins importante. Il y a cette ambivalence qui fait s’approcher de la mort, et puis s’en retirer un peu : il faut du temps pour laisser place à ça, cela ne se fait pas en quinze jours. Ça va dans l’écoute, l’accompagnement, dans cette connaissance, dans la proximité. Eloi Leclerc dit quelque chose de très beaux à propos des petites sœurs : « elles ne sont pas seulement témoins de la tendresse de Dieu, elles sont ses bras ». C’est tout le cœur de notre accompagnement : être témoin de cette tendresse de Dieu. Ce n’est pas parce qu’on est beau, jeune riche et en bonne santé : tout ce qu’on fait autour de nous montre que les résidents ont du prix. Ils ont toute une vie en eux.

L’accompagnement ne passe pas par des discours, mais par un geste, une attention, une proximité. Leur dire que leur vie n’est pas une dégringolade au fond d’un gouffre, car c’est ça la vieillesse aujourd’hui : je suis en train de dégringoler, de retourner en enfance. Saintes horreurs ! Non, nous sommes en train d’arriver en haut de la montagne, et c’est dur, il faut s’encorder, car on n’y arrive pas tout seul. On arrive en haut de la montagne, ce n’est pas la même chose que de dire je tombe au fond d’un gouffre.

 

Mère Rosemary raconte, avec son délicieux accent écossais : l’accompagnement est vraiment le sommet de notre vie de petites sœurs des pauvres. On est là pour ça. On est heureuses d’accueillir les résidents, et beaucoup d’entre eux viennent à Ma Maison parce qu’on est là. Elles savent qu’elles auront quelqu’un autour d’elles, quand elles feront le grand pas.

On dit fin de vie, mais non, on entre dans une autre vie. Et on est là du début jusqu’à la fin pour accompagner, et enfin pour ce dernier pas qui n’est pas facile. C’est très différent pour chaque personne, on n’a pas de situation pareille. Il y a des personnes qui partent très sereinement : même si elles ne sont pas entourées par leurs familles, elles ont les petites sœurs. Il faut savoir que nous les petites sœurs, on veille, on essaie autant que possible d’être aux côtés du résident qui est en train de faire le grand passage. Souvent dans la journée, les petites sœurs aînées qui ne peuvent pas veiller la nuit sont aux côtés de la personne pendant la journée. Elles sont là silencieusement : toucher la personne, humecter ses lèvres, tout ça c’est de la présence. Mais le soir nous faisons nos trois veilles : une petite sœur commence de neuf heures à minuit, une autre de minuit à trois heures, et la dernière de trois heures à six heures. Et comme ça les résidents se sentent vraiment en sécurité, ils ne vont pas partir seuls, ce qui est souvent un sujet d’angoisse : « est-ce que je vais m’en aller tout seul ? ». C’est pourquoi, pour nous les petites sœurs, c’est très important d’être là. Il arrive parfois qu’une personne meure subitement et seul : c’est dans le plan de Dieu, on n’y peut rien.

Chaque accompagnement est différent. Pour telle personne, il faut être silencieux, juste être à côté pour que la personne sente la présence. D’autres aiment entendre la voix. J’ai même accompagné un monsieur qui voulait la télévision avec lui ; il ne voulait pas mourir sans avoir sa télévision. Bien sûr, ce n’était pas dans notre habitude mais voilà c’était son désir. Et on l’a laissé écouter sa télévision, ce qui nous a changées de nos habitudes qui est d’être là, prier : là, il y avait la télévision. Un autre monsieur a voulu mourir avec ses souliers. Il voulait être enterré avec ses souliers. On l’a fait : c’est un autre type d’accompagnement. Une autre fois, j’ai trouvé un très beau geste de la part d’une infirmière : un monsieur se trouvait très mal alors qu’elle terminait son travail. L’infirmière est venue me voir, en me disant : « ce monsieur ne va pas passer la nuit ». On est allées dans la chambre, elle a pris ma main, et elle l’a mise dans la main du monsieur, en disant : « moi maintenant je ne peux plus rien faire, maintenant c’est vous. » J’ai trouvé ce geste extraordinaire de la part de cette personne, et donc on a pu accompagner ce monsieur qui est mort peu de temps après, mais on était toutes là autour de lui.

Pour nous, c’est ça permettre aux personnes de faire le grand passage. L’essentiel c’est de les écouter, écouter les familles, parce qu’il y a les personnes âgées qui vont mourir, mais aussi les familles. Je me souviens de ce résident qui a mis plusieurs jours à partir, et la famille était dans l’angoisse. Ils sont restés cinq à six jours avec nous, même parfois la nuit, et ainsi petit à petit, ils se sont apaisés parce qu’ils ont senti la présence auprès du résident.

C’est vrai, accompagner ce n’est jamais facile : on ne sait pas ce qui va arriver, comment la personne est, selon qu’elle est dans un état de conscience ou pas… Pour nous, tout est là. Jeanne Jugan a été la première à accompagner toutes ces personnes en train de mourir, et nous continuons son œuvre dans cet accompagnement de fin de vie : aller vers l’autre vie et l’accompagner jusqu’au bout. C’est très important : vous savez, on ne se dispute pas en communauté, mais on se dispute pour aller auprès de la personne qui est en train de partir. Il ne manque jamais quelqu’un. On n’est pas nombreuses dans nos communautés, mais c’est chacun son tour. Et c’est ce que les résidents viennent chercher ici. D’ailleurs, il ne faut pas penser que les résidents n’accompagnent pas de leur côté. Les autres résidents eux aussi, sont proches du résident qui est en train de mourir. Eux aussi sont dans l’accompagnement et ils n’ont pas peur, à part quelques cas assez rares. Et souvent, je vois les personnes âgées partir sans souffrance : je peux dire souvent dans ma vie de petite sœur. J’ai vu des personnes partir dans la souffrance et surtout dans la peur oui, mais après ça s’apaise. On a de beaux témoignages de reconnaissance pour ce que l’on a fait dans cet accompagnement. Souvent les familles reviennent à Ma Maison, parce que justement elles ont senti cette présence auprès du résident.

 Voilà, on ne sait pas exactement ce qu’il faut faire, mais en tout cas ce sont des moments très privilégiés. Il y a un apaisement, on ne dit rien, mais on est là. On n’a aucune idée de ce qui est en train de se passer, mais on est là. On est impuissant, mais la vie continue, on met la main sur la main de l’autre, c’est la main du Seigneur qui parle. Même si ce n’est pas toujours facile.

 

Docteur Cyrielle Rambaud Collet, gériatre, Médecin coordinateur à Ma Maison :

J’ai rarement eu des soucis à soulager des souffrances de personnes en fin de vie. Mais Les familles sont dans l’angoisse, elles ont énormément de questions, de peur.

 La plus grande problématique que j’ai pu rencontrer était auprès des familles dans la peur : elles trouvaient que ça allait trop vite, ou pas assez vite, elles étaient dans l’angoisse. Et on essayait à chaque fois de replacer la personne au centre en disant : « on comprend que c’est dur pour vous, mais pour votre parente, on a soulagé les souffrances, elle n’a pas d’angoisse, elle est là. Vous, vous êtes dans cette attente, mais elle est bien. Il faut attendre, et c’est à elle de décider. » Combien de fois on a attendu parce que le petit-fils de Paris devait descendre ; ou bien les familles veillent jour et nuit, puisqu’à l’hôpital ce sont les familles qui restent 24 heures sur 24, et descendent prendre un café. C’est à ce moment-là que la personne part. « Vous, vous vous allez vous éclipser un moment, et la personne part. C’est son choix ».

 En tant que médecin, j’ai rarement eu des situations où j’ai eu du mal à soulager des personnes. Auprès des familles, dès le départ je dis : « on va essayer de répondre à chaque symptôme au fur et à mesure qu’il arrive. On ne peut pas savoir combien de temps ça prendra, mais ce que je peux vous dire c’est qu’on a les moyens de soulager et on le fera au fur et à mesure. » A l’EHPAD c’est plus facile, parce que les familles connaissent déjà les petites sœurs, le personnel, et elles sont déjà en confiance. Mais il y a toujours un inconnu. De plus, maintenant que les personnes vivent très âgées, dans l’esprit des familles c’est un peu comme si elles devenaient immortelles. Et au moment où ça arrive, c’est la panique devant ce que l’on ne l’avait pas imaginé. Autant avec des personnes plus jeunes qui souffrent d’une longue maladie, le cheminement se fait par étapes, autant avec une personne vieillissante, pour qui un jour les choses s’accélèrent, c’est plus difficile.

L’accompagnement, c’est dire : « oui c’est la fin, mais ça va prendre peut-être un certain temps, et on va soulager au fur et à mesure ». Et c’est là que les sœurs font un travail formidable : les familles savent qu’il y aura toujours quelqu’un pour accompagner, pour soulager, adapter les traitements. Et je crois que c’est important aussi pour les équipes de savoir qu’il y aura toujours une solution. Si les choses se passent mal, si un nouveau symptôme apparaît, on va chercher et on va trouver une solution pour soulager, peut-être pas dans la minute, mais on va soulager, on a des moyens. Malheureusement, il existe des situations de fin de vie mal coordonnées, ce qui amène de la souffrance, des questionnements et aussi l’envie de franchir un cap. Bien sûr, il y a des situations qui sont plus difficiles, mais dans mon expérience, on a toujours réussi à accompagner les personnes de manière digne.

 

Docteur Jean-Luc Philip :

Je vais évoquer deux situations qui se sont passées à domicile et qui m’ont fait particulièrement réfléchir.

La première est celle d’une dame chez qui on avait diagnostiqué une tumeur maligne, et pour qui, il fallait introduire un questionnement éthique : prendre les risques d’un geste opératoire, déraisonnable d’après les chirurgiens, ou s’engager dans un simple accompagnement. En ville, comment faire ? À l’hôpital, il y a un comité d’éthique, mais en ville les soignants, le médecin se croisent et il n’y a pas de lieu pour cela. La fille qui habitait à Montpellier a demandé un avis. Un médecin de Montpellier a accompagné ce projet de soins - le projet d’accompagnement-, et ça été un point positif.

L’accompagnement s’est finalement bien fait. Dans toute situation de ce type, je laissais toujours mon portable ouvert de façon à être disponible. Je passais régulièrement tous les jeudis.

 Après quelques mois, je devais donc passer et le mercredi soir, j’ai eu un appel de la fille. Je savais qu’elle était à Montpellier et j’étais assez surpris de ce qu’elle me disait : je suis resté un peu en apnée, et au bout d’un moment, elle me dit : « j’ai l’impression que vous n’êtes pas au courant ». En fait sa maman était décédée le matin à cinq heures.

Ce qui m’a beaucoup choqué, c’est qu’on a fait cet effort d’accompagnement, de présence, avec les infirmiers, les équipes de l’HAD, et là, à cinq heures du matin, l’infirmier est passé très vite, un médecin a dû constater le décès, l’infirmier a retiré le matériel en place. Personne ne m’a appelé.

On vient de parler d’équipe avec qui se joue l’accompagnement, et la question est vraiment celle de de la coordination à domicile.

Cela m’a tellement interrogé qu’avec Françoise, on a réfléchi ensemble ; on était en train de suivre un Master 2 d’éthique. On a donc écrit à l’HAD et on est allés voir le directeur, non pas pour critiquer mais pour trouver des pistes d’amélioration. Ce genre de situation est vraiment très difficile ; il convient de rechercher des leviers et voir comment en ville, avec l’éclatement des intervenants, on peut améliorer les choses :  dans cet exemple, comment trouver des pistes d’amélioration pour les interventions de l’HAD, et voir comment on peut rester présent auprès de la famille pendant et même après le décès. C’est tout l’enjeu dans notre système de soin en évolution : on constate une disponibilité aléatoire des soignants, des visites à domicile quasiment disparues. Dans l’avis 139 du CNCE, tout cela est noté et cela me conforte : il ne s’agit pas seulement de mon questionnement personnel. Je suis heureux de le repérer parce que c’est au cœur du bouleversement de notre système de santé. Comme citoyen, il est important d’en prendre conscience, et voir comment on peut améliorer cet accompagnement de la fin de vie.

 

La deuxième situation concerne l’accompagnement d’un monsieur qui avait un cancer à la gorge, qui fumait beaucoup, refusait de s’arrêter : il ne voulait pas se faire soigner ni opérer. Je lui ai présenté le bénéfice risque de l’opération, et il a accepté à condition que je vienne le voir à l’hôpital après l’opération. Il y a donc eu un contrat, une alliance thérapeutique, une acceptation de sa part mais sous certaines conditions.

Il s’est fait opérer, et je suis passé le voir en réanimation. Si je n’avais pas tenu parole, ç’aurait été un drame. D’où l’importance d’une parole donnée et respectée : elle a une intensité très forte dans un parcours de soin.

Cette confiance s’est trouvée renforcé quand après sa sortie de l’hôpital, il s’est aggravé quelques temps après. On a mis en place une hospitalisation à domicile, car il ne voulait absolument pas d’une fin de vie à l’hôpital. Il fallait que je lui promesse que quoi qu’il arrive, il ne soit pas hospitalisé.

 Son état s’est aggravé. Un jour il est tombé du lit et les pompiers sont intervenus : il a refusé de nouveau l’hospitalisation.

Un jour, son épouse me demande si je persistais à le maintenir à domicile malgré l’aggravation. Elle me dit :« vous savez, il a un revolver dans sa table de nuit et il pourrait s’en servir. ». Ça été en quelque sorte le renouvellement du contrat de confiance, et la confirmation de la parole tenue. Il a eu finalement une belle fin de vie à domicile, avec son épouse, et ça s’est bien passé.

A domicile, l’environnement fait que c’est très compliqué. J’allais voir ce monsieur à 10 heures du soir pour pouvoir me garer sans risquer d’avoir un PV. En 40 ans de médecine, j’ai vu la dégradation du respect pour les soignants : les PV pleuvent malgré les caducées. Il n’y a pas que les médecins qui vont à domicile bien sûr, mais aussi des aides-soignants, des infirmiers qui eux aussi sont en difficulté. Les Français désirent une fin de vie à domicile, mais rien n’est fait pour respecter et soutenir le passage à domicile des soignants. Il y a toute une réflexion à ce propos, peut-être pour modifier ces conditions de prises en charge, en tout cas les enjeux sont considérables.

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Le temps de l’échange et du débat

Ces trois témoignages ont été suivis d’un temps en petits groupes où les participants étaient invités à partager sur leurs propres résonances et questionnements.

Puis s’est engagé un échange très riche dont nous relevons quelques points :

Sœur Agnès : il faut peut-être élargir les choses, il n’y a pas que les médecins et les infirmiers qui interviennent. Il faut parler des bénévoles, de l’accompagnement spirituel qui peut se faire, tout cela fait pleinement partie de l’accompagnement.

Docteur Philip : il est capital de déléguer, on ne fait pas tout seul, on est dans l’échange.

Sœur Agnès : tout dépend aussi de ce que la personne désire et va accepter.

MGO : il y a aussi très certainement un problème de société. Dans mon métier de psychologue, j’ai vu les choses se dégrader et comment la qualité du suivi, des bilans psychologiques s’amenuiser. Tout cela je l’ai subi. Pourtant, je pense que la société cherche la création de liens, de nouvelles façons de faire du lien social.

GF : certaines personnes donnent quelques heures dans le mois pour visiter des personnes en fin de vie. Cela atténue la solitude qui est une grande source de souffrance pour ces personnes.

Il y a peut-être des modalités à rechercher pour que de telles initiatives puissent être proposée et mise en œuvre.MG O : cela fait partie des engagements qu’on peut avoir en tant que citoyen et même plus en tant qu’humain.

GF : certains chrétiens s’y engagent vraiment au nom de la fraternité, et l’accompagnement de fin de vie peut prendre une dimension spirituelle, cette dimension qui échappe beaucoup au monde du soin, où la dimension biologique, sociale, psychologique sont bien pris en compte.

Docteur Philip : « parlons de la mort tant qu’il fait beau pour donner du sens au temps présent », c’est une phrase du père Gabriel Ringlet qui nous a beaucoup inspirés et que j’aime à répéter. La mort est taboue dans notre société ; ce futur projet de loi réveille et oblige à en parler.

Des infirmières d’une EHPAD revenant des assises des EHPAD, ont assisté à un débat sur ce sujet. Elles disent : « il y avait les pour, il y avait les contre, mais au moins on a pu en parler. Ça nous amène à réfléchir ».

Sœur Agnès : les enjeux actuels obligent les soignants à l’excellence tant les défis sont importants. Il faut être excellent pour permettre la vie. Nous tenons à ce que nos EHPAD restent des lieux de vie, et pour cela il est important que des personnes encore très valides cohabitent avec d’autres beaucoup plus fragilisées. Malheureusement, les EHPAD sont essentiellement budgétisés sur le niveau de dépendance des résidents sans tenir compte de l’importance de cette diversité qui permet de maintenir la vie et l’autonomie. Il y a là un enjeu quant au regard de la société sur le malade et pour les soignants, quant à leur positionnement.

Docteur Philip : il est important de développer une culture palliative : nous en avons parlé dans le document des semaines sociales, tant au niveau des soignants que des citoyens. Développer l’information de tous et la formation des professionnels est un enjeu capital car le retard est énorme en ce domaine.

Sœur Agnès : il y a beaucoup d’interrogations sur les souffrances des mourants. Oui c’est la situation de la plus grande fragilité où on sent que notre corps nous lâche. Il y a un mal-être, une angoisse reliée à cette expérience. Je pense à ce père chartreux qui était dans ce mal-être. Je m’assois à côté de lui, et je lui dis : « mais là, c’est le seigneur qui est en train de vous appeler. » « Ah oui c’est ça. » Et en fait, il a réalisé que ce qu’il attendait depuis des mois était en train d’advenir. Il s’est apaisé.

La mort est vraiment de l’ordre du mystère. On est à côté, mais on ne sait vraiment pas ce qui se passe.

Docteur Philip : tout cela est à considérer dans l’évolution actuelle du système de soins. On est passé d’une médecine paternaliste, à la démocratie sanitaire ; le pas suivant qui est en train de se mettre en place prendra en compte la présence et le rôle des patients dans les décisions et les parcours de soins. Des innovations sont en cours, comme l’initiative d’un diplôme universitaire « partenariat patient–soignants » (Françoise a contribué à sa mise en place) et la prise en compte des patients experts dans les systèmes d’organisation.

Une autre innovation : il existe un certain nombre d’initiatives, toutes identifiées sous l’enjeu d’un renforcement du domicile. L’objectif est de permettre aux personnes fragilisées et à leurs proches de rester à domicile si possible jusqu’au bout. Une expérience de ce type en France vient d’être pérennisée et budgétisée : 156 centres de ce type- CRT (centre de ressources de territoire) - sont créés sur l’Hexagone.

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En fin de réunion, mère Rosemary nous annonce que les petites sœurs des pauvres s’engagent dans un projet innovant : sur la propriété des clarisses de Nice, devenu trop âgé pour rester sur le lieu, les petites sœurs des pauvres vont essayer de développer une autre façon d’accueillir les résidents sous la forme d’un habitat partagé. Le désir est de rester au cœur de la vocation des sœurs des pauvres à la suite de Jeanne Jugan, accueillir les plus pauvres et en particulier les personnes marginalisées, sans habitat digne et souffrant peut-être de certaine fragilité psychique.

Tout est à étudier, mais le projet relève de ces EHPAD atypiques que sont les maisons des petites sœurs des pauvres. Autre façon de continuer leur œuvre mais de façon nouvelle.

 

Françoise et Jean-Luc Philip, SESAM, Groupe santé des SSF

 

 

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Conférence organisée par l’Antenne de Paris des Semaines Sociales de France le 5 mars 2024 à St Honoré d’Eylau.




Face à l’urgence climatique, le monde du travail est appelé à s’écouter pour conjuguer adaptation et atténuation de l’impact du travail sur le vivant.

 

Le réchauffement climatique est un phénomène qui n’est plus sérieusement contesté. Il se manifeste par des événements climatiques majeurs qui atteignent l’ensemble de la planète, avec des conséquences plus intenses pour les pays au climat modéré. Cependant, ces événements révèlent la progression continue des températures qui affectent l’environnement, la biodiversité, le vivant dont les humains, ce qui lui impose de se repositionner au regard de l’ensemble de ses activités, dont l’une de ses activités principales : le travail.

Jean-François NATON, syndicaliste, représentant de la Confédération générale du travail (CGT) au Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été le rapporteur de l’avis du CESE intitulé : « Travail et Santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? »



Il a aussi écrit : « A la reconquête du travail éditions Indigène en 2007 et « Pour d’autres jours heureux – la sécurité sociale de demain » en 2019, aux éditions de l’Atelier.

Le CESE : 175 représentants de la société civile organisée au service par le dialogue, du consensus pour l’intérêt général.


Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est la troisième assemblée mentionnée dans la Constitution en son article 69. L’utilité et même l’existence du CESE ont été mises en cause dans un passé encore récent, ce qui a conduit à une profonde refondation. En termes de composition, les personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement ont laissé place à des représentants du monde associatif plus en mesure d’élargir le champ de la réflexion et des débats. Le CESE a pu aussi s’appuyer sur l’apport des panels de citoyens consultés dans le cadre des dispositifs de participation citoyennes.


En termes d’orientation, le CESE remet  des avis qui tendent à anticiper les débats publics.

C’est dans ce cadre que l’avis portant sur le changement climatique et le travail a été élaboré. La présidente de la Commission travail et emploi du CESE, Sophie Thiery, représentante de la CFDT, tenait à ce que la question du travail reprenne toute sa place au sein de la Commission. Les problématiques des conditions de travail, de la santé au travail, des accidents du travail, des maladies professionnelles, mais aussi de la qualité de vie au travail et de l’organisation du travail représentent traditionnellement un alliage fort du dialogue social.


En l’occurrence, l’une des forces du CESE tient dans le fait que tous les membres du CESE ont une activité en dehors du CESE. Les membres du CESE sont donc des personnes investies dans leurs missions, mais qui ont aussi un ancrage territorial, professionnel let social.

L’autre force du CESE est son identité fondée sur le dialogue, le respect mutuel, la volonté de se donner le temps nécessaire loin du bruit et de fureur pour proposer des orientations et des solutions à des problèmes complexes.


Dans l’élaboration de l’avis, le CESE a eu recours à de nombreuses auditions et a bénéficié du soutien du Conseil d’orientation des conditions de travail, organisme paritaire qui a pour objet de fixer des orientations en santé au travail auprès du ministère du travail.

L’avis a été adopté à l’unanimité, ce qui signifie que les organisations syndicales et les organisations professionnelles, donc les organisations représentant les employeurs, ont été capables de trouver les points d’accord nécessaires. Tous les représentants ont eu conscience que l’urgence climatique n’autorisait pas l’échec.


La plupart des avis connaissent une diffusion limitée. Ils sont appréciés par les spécialistes de la question, mais ne bénéficient pas assez d’une forte médiatisation.

Cet avis est une exception. Il a été présenté devant l’agence de santé, Santé publique-France, devant France-stratégie (le plan), l’Inspection générale des affaires sociales, devant la commission sociale de l’Assemblée nationale au cours de nombreuses rencontres d’organisations, d’ initiatives, dont celle de ce soir ; Il n’y a pas eu cependant de suites politiques à ce stade.


Pourtant les préconisations sont portées par l’ensemble des acteurs économiques et associatifs, visent à modifier les comportements et à favoriser le dialogue social pour atténuer le changement climatique et adapter le travail à ce changement, dans le cadre d’une maîtrise de la dépense collective.


Les préconisations du CESE

Le premier principe qui a guidé les membres du CESE repose sur la nécessité de briser les approches sectorielles de la santé.

Il n’y a pas une santé publique, une santé environnementale, une santé au travail. De fait, la santé est globale et l’approche de la santé doit être globale.

Il en résulte trois préconisations :

-          Un délégué interministériel doit être en mesure de coordonner l’ensemble des politiques visant à adapter la société au changement climatique.

-          Les excédents de la branche « Accident du travail- maladies professionnelles » peuvent financer une part des actions mises en œuvre pour cette adaptation dans le milieu travail, ce qui est légitime au vu des risques pour la santé encourus par l’ensemble des travailleurs.

-          Un outil statistique robuste doit être construit pour évaluer les conséquences du changement climatique sur la santé dans toutes ses dimensions, donc aussi la santé au travail.


Le deuxième principe est celui d’une culture commune de la prévention.

La prévention est souvent le parent pauvre des politiques publiques, mais aussi de la gestion des risques dans les entreprises. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est, par exemple, méconnu par la moitié des entreprises, alors même qu’il est obligatoire.

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II en résulte une série de préconisations dont notamment celles-ci :

-          Une formation commune des salariés et des employeurs sur le changement climatique et son impact sur le travail.

-          Une campagne de sensibilisation nationale sur la nécessité d’anticiper le risque climatique en milieu professionnel.

-          L’obligation d’un DUERP à jour pour prétendre bénéficier d’une aide de l’Etat.

-          L’écoute comme nouveau principe général de prévention.


Ce dernier point est particulièrement important et novateur.

Le code du travail prévoit des principes généraux de prévention :

1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Le CESE propose d’ajouter un 10ème principe qui serait de fait plutôt le premier dans l’ordre logique : l’écoute. L’écoute n’est pas dans un seul sens. Ce n’est pas seulement l’écoute des salariés par l’employeur ; c’est aussi l’écoute de l’employeur par les salariés.

L’objectif est de construire ensemble une réponse aux risques professionnels en général et aux risques liés au changement climatique en particulier par une écoute mutuelle et une approche de terrain aussi pragmatique que possible.

 

Le troisième principe consiste à repenser l’organisation du travail

Il n’est pas question de nier les différences d’approche et les conflits qui peuvent exister entre employeurs et salariés. Il n’est pas question non plus de nier les questions de productivité, de performance et de rentabilité des entreprises. Simplement, quand il est question de changement climatique, les convergences d’approche doivent l’emporter pour répondre aux nouveaux défis auxquels l’ensemble des travailleurs doit faire face.

Ce ne sont pas seulement les travailleurs du dehors qui sont exposés au changement climatique. Ce sont aussi tous les travailleurs du dedans qui travaillent dans les usines, dans les commerces et même dans les bureaux. C’est pour cela que les bâtiments à usage professionnel doivent être revus au regard du changement climatique, notamment en privilégiant la climatisation neutre en gaz à effet de serre.

De même, l’organisation du travail doit tenir compte du changement climatique. L’absence de prise en considération du changement environnemental a coûté six vies pendant les dernières vendanges en Champagne. Ce sont six vies qui auraient pu être épargnées si la prévention avait été au rendez-vous.


Pour cette raison, le CESE a émis les préconisations suivantes qui fait la part belle à la négociation :

-          Modifier la réglementation après négociations pour que les branches bâtiment et travaux publics (BTP) puissent disposer de 15 jours de risque canicule comme elles disposent de 15 jours pour le risque intempérie, afin de limiter les effets du changement climatique sur les organismes.

-          Promouvoir le dialogue social pour passer d’une logique de gestion de crise à une logique de prévention en intégrant l’impact du dérèglement climatique dans les négociations, tout en veillant à ce que les mesures négociées contribuent à l’effort général de sobriété.

-           Intégrer les conséquences du dérèglement climatique sur l’organisation et les conditions de travail dans les obligations de négociation périodique de branche professionnelle et intégrer le thème des conséquences environnementales des orientations stratégiques de l’entreprise dans les consultations obligatoires au sein du Comité social d’entreprise.

L’organisation du travail, en tant qu’elle entraîne des conséquences sur la santé des travailleurs, est l’affaire de tous. Le changement climatique induit des changements d’organisation. Ceux-ci doivent être consentis, c’est-à-dire compris et approuvés par l’ensemble des membres du collectif de travail.


Les partenaires sociaux sont au cœur même de la transformation du monde du travail imposée par le changement climatique. Leurs forces ne sont pas en elles-mêmes suffisantes, mais sans elles, il ne peut y avoir ni changement comportemental, ni changement culturel, ni changement social. Il reste que le changement est aussi une affaire politique et donc de rapports de force. Sans tomber dans l’angélisme, plus le dialogue social fait consensus, plus le rapport de forces est favorable pour aborder la question du changement climatique. Inversement, un dialogue social faible et dégradé conduit à des relations sociales conflictuelles qui évincent la question du changement climatique.


Il reste que tout n’est pas réglé pour autant. Il y a toujours le risque d’entreprises ou de secteurs qui ne joueraient pas le jeu. Les employeurs ne sont pas tous partants, même si beaucoup le sont.


Il y a toujours aussi le risque d’une politique publique inadaptée, par exemple dans le domaine de l’énergie. Un choix énergétique qui induit une augmentation des coûts et qui ne privilégie pas les énergies de proximité les plus économes est un choix qui ampute les chances d’une transformation du monde du travail.


Conclusion

Le consensus du CESE a été possible grâce à une appréciation commune de la nécessité d’agir face à l’urgence du changement climatique.  Les partenaires sociaux ont su aussi prendre en considération la question du coût de l’adaptation car la bonne volonté parfois ne suffit pas si le changement n’est pas accompagné par des moyens suffisants et adaptés.

Ils partagent aussi la conviction que le dialogue social est au cœur la transformation des organisations, laquelle représente une réponse nécessaire à l’impact du changement climatique sur le travail.  Ils sont convaincus que l’écoute mutuelle est au cœur du nouveau contrat social et promesse de nouveaux « jours heureux ».

Dans le contexte mondial tourmenté actuel, quels sont les défis majeurs auxquels l’Europe est confrontée ? Et quels peuvent être l’influence et le rôle du Parlement européen que nous sommes appelés à renouveler le 9 juin prochain ?  La déclaration en date du 13 mars des évêques européens de la COMECE, pour qui « le projet d’intégration européenne, initié il y a plus de 70 ans, doit être soutenu et poursuivi », nous invite au discernement.



Les Semaines Sociales de Rueil, associées aux représentants dans les Hauts de Seine du Mouvement Européen, a accueilli pour une soirée d'échange le 2 avril un député européen de premier plan : Pascal Durand, qui termine son deuxième mandat au Parlement européen où il a siégé dans trois groupes parlementaires différents, et ne se représente pas, ce qui lui donne une expertise et un recul précieux. Appréciez sa sincérité et son engagement grâce au replay ou au compte rendu disponibles sur notre site internet : https://semsocrueil.com/2024/03/14/quels-defis-pour-leurope-quels-pouvoirs-pour-le-parlement-europeen/ .

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